
Cet article a été initialement publié sur le site internet IJSBERG Magazine : En Afrique, les logiciels libres au secours du développement
Alors que la France a
été récemment salué pour sa promotion des logiciels libres dans
l’administration, nous avons rencontré Florent Youzan, spécialiste
en transformation sociale par les logiciels libres. Le développement
de l’informatique en Afrique doit passer selon lui par
l’utilisation de logiciels libres, alors même que les géants
comme Facebook et Google mettent en place de nombreuses mesures pour
booster Internet sur le continent.
Florent Youzan est
ingénieur informaticien et spécialiste en Transformation Sociale
par les Logiciels Libres. Il est foncièrement convaincu que
l’Afrique va se développer. Mais pour lui, ce développement
ne pourra se faire sans la conjugaison de la jeunesse et du Logiciel
Libre. Lors du Bonoua E-School Time (BEST14) ,
une université d’été organisée par l’agence E-voir les
4, 5 et 6 septembre, Florent Youzan est revenu sur les enjeux
majeurs du développement de l’Afrique par la culture du Libre.
Florent Youzan,
vous êtes un fervent défenseur du logiciel libre. Et durant
les trois jours, vous avez sans cesse répété que le développement
de l’Afrique ne se fera que par la culture du logiciel
libre : qu’est-ce que le Logiciel Libre ?
On définit le Logiciel
Libre comme étant un logiciel qui respecte quatre libertés
fondamentales :
la liberté d’utiliser le logiciel pour tous les usages et sans
restriction
la liberté d’étudier le fonctionnement du logiciel
la liberté de modifier le logiciel afin qu’il fonctionne
exactement comme nous le souhaitons, tout en répondant de manière
spécifique à nos besoins. Et cette liberté induit l’accès au
code source du logiciel
la liberté de
distribuer les modifications effectuées sur le logiciel. C’est ce
que nous appelons la liberté de contribution.
Ces quatre libertés
définissent le Logiciel Libre. Ces quatre libertés ne sont pas
directement rattachées au logiciel, mais font référence à
l’utilisateur et à ses droits fondamentaux.
La philosophie du
Logiciel Libre réinstalle donc l’utilisateur dans ses droits tout
en montrant, que l’utilisateur doit être au cœur de
l’Informatique.
Avec cette
définition du logiciel libre, où on parle de modifier, d’étudier
le fonctionnement et de distribuer le code source. Le logiciel
libre ne serait-il pas une affaire d’initiés, de geek ?
Pourquoi l’Afrique doit-elle adopter le Logiciel Libre ?
Les logiciels libres
tels que définis donnent l’impression qu’ils sont seulement
rattachés au domaine informatique.
Mais il faut reconnaître
et insister sur le fait que le Logiciel Libre va au-delà de
l’informatique.
Aujourd’hui, nous
parlons beaucoup plus de culture du Libre plutôt que de Logiciel
Libre. Cela nous permet de sortir le Logiciel Libre des laboratoires,
des hackerspace et autres makerspace, pour montrer au citoyen
lambda que le Logiciel Libre et la culture du Libre donne une
certaine prédisposition pour le développement des différents
territoires africains.
Avec le Logiciel Libre
vous comprenez que l’informatique ne s’impose pas sur un
territoire ni aux utilisateurs, mais doit réussir à s’adapter aux
réalités du territoire qui l’accueille. C’est une valeur
essentielle à laquelle tiennent tous les défenseurs de
l’informatique libre et solidaire.
Vous dites
que l’informatique doit s’adapter aux réalités du territoire
qui l’accueille. Essayons alors
de transposer le Logiciel Libre
dans notre éducation. Que peuvent apporter les logiciels
libres dans l’éducation en Afrique ?
En Afrique, nous
continuons d’investir beaucoup d’argent dans l’éducation car
nous y tenons. Comme le disait Nelson Mandela : « L’Éducation
est l’arme la plus fatale pour changer le monde ». Il est
donc pertinent d’éduquer et de former la jeunesse africaine de
façon stratégique afin qu’elle soit détentrice d’un savoir
libre, afin qu’à partir de ce savoir elle puisse prévoir pour
mieux agir.
Les universités et les
instituts de formation devraient renoncer à l’utilisation des
logiciels non libres (NDLR : nous utiliserons privateurs dans
l’article pour désigner ces logiciels) dont le coût d’acquisition
reste encore inaccessible. Mais cette raison est superficielle,
car des raisons plus profondes devraient être présentées à la
communauté éducative africaine.
Lorsque des enseignants
forment exclusivement sur des logiciels privateurs dans les
écoles d’ingénieurs et universités africaines, ils s’érigent
en commerciaux non rémunérés et transforment leurs étudiants en
potentiels clients pour ces grosses firmes éditrices de logiciels
privateurs.
On ne peut pas gaspiller
l’argent du contribuable à former des ingénieurs et des
techniciens qui seront des consommateurs à vie des logiciels
privateurs sans aucune possibilité de contribution et de créativité.
Est-ce à dire
que les grosses firmes comme Microsoft, Apple, etc. empêchent de
bien se former en Afrique ?
Pour former de très
bons développeurs d’applications en Afrique, les étudiants
africains doivent avoir la possibilité d’accéder aux codes
sources des logiciels existants afin d’étudier leur
fonctionnement. La relecture des codes rédigés par de très bons
développeurs permettra à la jeunesse de monter en compétences et
en connaissance.
Une autre chose
importante qui se perçoit aisément, c’est que le Logiciel
Libre permet à l’étudiant de comprendre le fonctionnement réel
d’un système. Mais un étudiant formé sur un système privateurs
qui ne lui offre aucune possibilité d’étudier son fonctionnement,
ne saura jamais comment il fonctionne et ne pourra jamais contribuer
à l’amélioration du fonctionnement de ce système.
À la fin de la
formation, lorsque les jeunes africains veulent se lancer dans
l’entrepreneuriat, ils n’ont pas la possibilité d’avoir à
coût acceptable les logiciels sur lesquels ils ont été formés.
Ils sont obligés d’acheter ces logiciels ou des licences. Alors
que cette jeunesse africaine veut partir de zéro.
Vous répétez
continuellement « Jeunesse et Logiciel Libre ». Que fera
cette jeunesse avec le Logiciel Libre ?
Le Logiciel Libre aux
mains de la jeunesse fortifiera notre continent. La conjugaison de la
culture du Libre et de la jeunesse produira dans nos universités,
des technocrates « made in Africa » rompus à la
résolution des difficultés de l’Afrique avec le regard africain
dans un cocktail de compétences, d’indépendance, d’ouverture,
de démystification, de partage, d’accessibilité et de
collaboration.
On ne doit pas interdire
aux élèves et étudiants de nos universités africaines de partager
des codes sources de logiciels, de faire des copies de logiciel et
les partager, de s’entraider. C’est malheureusement ce que nous
observons. Notre jeunesse est formée dans la division, elle est
éduquée à travailler et apprendre séparément dans
l’individualité mais paradoxalement après leurs diplômes, on les
réinvite à travailler en collaboration en entreprise.
Comment les
logiciels libres peuvent-ils contribuer à l’insertion
socio-professionnelle de cette jeunesse africaine ?
Le Logiciel Libre peut
aider les jeunes africains à réussir leur insertion
socio-professionnelle en créant eux-mêmes leurs propres emplois. La
culture du Libre peut permettre à ces jeunes de participer à
l’élaboration d’une économie numérique en se basant sur leurs
connaissances, leur savoir, leurs compétences et leurs aptitudes
numériques basées sur le Logiciel Libre.
Les éditeurs de
logiciels privateurs vous disent aujourd’hui que lorsque vous
achetez un système et que vous le partagez avec votre voisin, vous
allez contre leurs lois : vous êtes un pirate !
Il nous faut donc
adopter une nouvelle posture et bâtir une société citoyenne qui
saura s’éloigner des logiciels privateurs lorsqu’elle ne dispose
pas de moyens financiers pour acquérir une licence d’utilisation.
Cela, c’est aussi être honnête !
La culture du Libre
présente à la jeunesse africaine comment travailler tout en restant
honnête. Le Logiciel Libre accessible et ouvert à tous sans aucune
restriction permet de prototyper rapidement des idées d’entreprises
en se basant sur des bribes de codes-source ouverts et modifiables.
Donnons la possibilité à chaque jeune africain de créer son
travail !
Offrons la possibilité
à chaque citoyen de nos différents pays africains de créer son
travail en se basant sur du Logiciel Libre. Il n’y aura jamais
suffisamment d’emploi pour tout le monde, mais il y aura du travail
pour chacun.
Cela ne sera possible
qu’avec les logiciels libres qui permettent aujourd’hui à
n’importe quel jeune africain de créer sa start-up à partir de
zéro. Le Logiciel Libre c’est aussi rendre tangible l’intangible.
Quels conseils
donneriez-vous à ces jeunes ?
J’ai vu des étudiants
apprendre avec la peur au ventre parce qu’ils savaient qu’au soir
de leur formation, ils n’auraient pas les moyens d’acheter le
système sur lequel ils ont été formés. J’ai vu des parents
d’élèves s’interroger sur le fait de pouvoir payer des
ordinateurs avec toutes les licences logiciels dont ils besoin. C’est
pour toutes ces contraintes que j’ai fait 10 recommandations à la
jeunesse africaine pour l’insertion socio-professionnelle à partir
du Logiciel Libre.
Cet article a été initialement publié sur le site internet IJSBERG Magazine : En Afrique, les logiciels libres au secours du développement