
Cet article a été initialement publié sur le site web IJSBERG : https://ijsbergmagazine.com/technologie/article/6355-en-afrique-les-logiciels-libres-au-secours-du-developpement/
Alors que la France a été récemment salué pour
sa promotion des logiciels libres dans l’administration, nous avons
rencontré Florent Youzan, spécialiste en transformation sociale par les
logiciels libres. Le développement de l’informatique en Afrique doit
passer selon lui par l’utilisation de logiciels libres, alors même que
les géants comme Facebook et Google mettent en place de nombreuses
mesures pour booster Internet sur le continent.
Florent Youzan est ingénieur informaticien et spécialiste en
Transformation Sociale par les Logiciels Libres. Il est foncièrement
convaincu que l’Afrique va se développer. Mais pour lui, ce
développement ne pourra se faire sans la conjugaison de la jeunesse et
du Logiciel Libre. Lors du Bonoua E-School Time (BEST14) , une
université d’été organisée par l’agence E-voir les 4, 5 et 6 septembre,
Florent Youzan est revenu sur les enjeux majeurs du développement de
l’Afrique par la culture du Libre.
Florent Youzan,
vous êtes un fervent défenseur du logiciel libre. Et durant les trois
jours, vous avez sans cesse répété que le développement de l’Afrique ne
se fera que par la culture du logiciel libre : qu’est-ce que le
Logiciel Libre ?
On définit le Logiciel Libre comme étant un logiciel qui respecte quatre libertés fondamentales :
- la liberté d’utiliser le logiciel pour tous les usages et sans restriction
- la liberté d’étudier le fonctionnement du logiciel
- la
liberté de modifier le logiciel afin qu’il fonctionne exactement comme
nous le souhaitons, tout en répondant de manière spécifique à nos
besoins. Et cette liberté induit l’accès au code source du logiciel
- la liberté de distribuer les modifications effectuées sur le logiciel. C’est ce que nous appelons la liberté de contribution.
Ces
quatre libertés définissent le Logiciel Libre. Ces quatre libertés ne
sont pas directement rattachées au logiciel, mais font référence à
l’utilisateur et à ses droits fondamentaux.
La philosophie du
Logiciel Libre réinstalle donc l’utilisateur dans ses droits tout en
montrant, que l’utilisateur doit être au cœur de l’Informatique.
Avec
cette définition du logiciel libre, où on parle de modifier, d’étudier
le fonctionnement et de distribuer le code source. Le logiciel libre ne
serait-il pas une affaire d’initiés, de geek ? Pourquoi l’Afrique
doit-elle adopter le Logiciel Libre ?
Les logiciels libres tels que définis donnent l’impression qu’ils sont seulement rattachés au domaine informatique.
Mais il faut reconnaître et insister sur le fait que le Logiciel Libre va au-delà de l’informatique.
Aujourd’hui,
nous parlons beaucoup plus de culture du Libre plutôt que de Logiciel
Libre. Cela nous permet de sortir le Logiciel Libre des laboratoires,
des hackerspace et autres makerspace, pour montrer au citoyen lambda
que le Logiciel Libre et la culture du Libre donne une certaine
prédisposition pour le développement des différents territoires
africains.
Avec le Logiciel Libre vous comprenez que
l’informatique ne s’impose pas sur un territoire ni aux utilisateurs,
mais doit réussir à s’adapter aux réalités du territoire qui
l’accueille. C’est une valeur essentielle à laquelle tiennent tous les
défenseurs de l’informatique libre et solidaire.
Vous dites que l’informatique doit s’adapter aux réalités du territoire qui l’accueille. Essayons alors de transposer le Logiciel Libre dans notre éducation. Que peuvent apporter les logiciels libres dans l’éducation en Afrique ?
En
Afrique, nous continuons d’investir beaucoup d’argent dans l’éducation
car nous y tenons. Comme le disait Nelson Mandela : « L’Éducation est
l’arme la plus fatale pour changer le monde ». Il est donc pertinent
d’éduquer et de former la jeunesse africaine de façon stratégique afin
qu’elle soit détentrice d’un savoir libre, afin qu’à partir de ce savoir
elle puisse prévoir pour mieux agir.
Les universités et les
instituts de formation devraient renoncer à l’utilisation des logiciels
non libres (NDLR : nous utiliserons privateurs dans l’article pour
désigner ces logiciels) dont le coût d’acquisition reste encore
inaccessible. Mais cette raison est superficielle, car des raisons plus profondes devraient être présentées à la communauté éducative africaine.
Lorsque
des enseignants forment exclusivement sur des logiciels privateurs dans
les écoles d’ingénieurs et universités africaines, ils s’érigent en
commerciaux non rémunérés et transforment leurs étudiants en potentiels
clients pour ces grosses firmes éditrices de logiciels privateurs.
On
ne peut pas gaspiller l’argent du contribuable à former des ingénieurs
et des techniciens qui seront des consommateurs à vie des logiciels
privateurs sans aucune possibilité de contribution et de créativité.
Est-ce à dire que les grosses firmes comme Microsoft, Apple, etc. empêchent de bien se former en Afrique ?
Pour
former de très bons développeurs d’applications en Afrique, les
étudiants africains doivent avoir la possibilité d’accéder aux codes
sources des logiciels existants afin d’étudier leur fonctionnement. La
relecture des codes rédigés par de très bons développeurs permettra à la
jeunesse de monter en compétences et en connaissance.
Une autre
chose importante qui se perçoit aisément, c’est que le Logiciel Libre
permet à l’étudiant de comprendre le fonctionnement réel d’un système.
Mais un étudiant formé sur un système privateurs qui ne lui offre aucune
possibilité d’étudier son fonctionnement, ne saura jamais comment il
fonctionne et ne pourra jamais contribuer à l’amélioration du
fonctionnement de ce système.
À la fin de la formation, lorsque
les jeunes africains veulent se lancer dans l’entrepreneuriat, ils n’ont
pas la possibilité d’avoir à coût acceptable les logiciels sur lesquels
ils ont été formés. Ils sont obligés d’acheter ces logiciels ou des
licences. Alors que cette jeunesse africaine veut partir de zéro.
Vous répétez continuellement « Jeunesse et Logiciel Libre ». Que fera cette jeunesse avec le Logiciel Libre ?
Le
Logiciel Libre aux mains de la jeunesse fortifiera notre continent. La
conjugaison de la culture du Libre et de la jeunesse produira dans nos
universités, des technocrates « made in Africa » rompus à la résolution
des difficultés de l’Afrique avec le regard africain dans un cocktail de
compétences, d’indépendance, d’ouverture, de démystification, de
partage, d’accessibilité et de collaboration.
On ne doit pas
interdire aux élèves et étudiants de nos universités africaines de
partager des codes sources de logiciels, de faire des copies de logiciel
et les partager, de s’entraider. C’est malheureusement ce que nous
observons. Notre jeunesse est formée dans la division, elle est éduquée à
travailler et apprendre séparément dans l’individualité mais
paradoxalement après leurs diplômes, on les réinvite à travailler en
collaboration en entreprise.
Comment les logiciels libres peuvent-ils contribuer à l’insertion socio-professionnelle de cette jeunesse africaine ?
Le
Logiciel Libre peut aider les jeunes africains à réussir leur insertion
socio-professionnelle en créant eux-mêmes leurs propres emplois. La
culture du Libre peut permettre à ces jeunes de participer à
l’élaboration d’une économie numérique en se basant sur leurs
connaissances, leur savoir, leurs compétences et leurs aptitudes
numériques basées sur le Logiciel Libre.
Les éditeurs de logiciels
privateurs vous disent aujourd’hui que lorsque vous achetez un système
et que vous le partagez avec votre voisin, vous allez contre leurs
lois : vous êtes un pirate !
Il nous faut donc adopter une
nouvelle posture et bâtir une société citoyenne qui saura s’éloigner des
logiciels privateurs lorsqu’elle ne dispose pas de moyens financiers
pour acquérir une licence d’utilisation. Cela, c’est aussi être
honnête !
La culture du Libre présente à la jeunesse africaine
comment travailler tout en restant honnête. Le Logiciel Libre accessible
et ouvert à tous sans aucune restriction permet de prototyper
rapidement des idées d’entreprises en se basant sur des bribes de
codes-source ouverts et modifiables. Donnons la possibilité à chaque
jeune africain de créer son travail !
Offrons la possibilité à
chaque citoyen de nos différents pays africains de créer son travail en
se basant sur du Logiciel Libre. Il n’y aura jamais suffisamment
d’emploi pour tout le monde, mais il y aura du travail pour chacun.
Cela
ne sera possible qu’avec les logiciels libres qui permettent
aujourd’hui à n’importe quel jeune africain de créer sa start-up à
partir de zéro. Le Logiciel Libre c’est aussi rendre tangible
l’intangible.
Quels conseils donneriez-vous à ces jeunes ?
J’ai
vu des étudiants apprendre avec la peur au ventre parce qu’ils savaient
qu’au soir de leur formation, ils n’auraient pas les moyens d’acheter
le système sur lequel ils ont été formés. J’ai vu des parents d’élèves
s’interroger sur le fait de pouvoir payer des ordinateurs avec toutes
les licences logiciels dont ils besoin. C’est pour toutes ces
contraintes que j’ai fait 10 recommandations à la jeunesse africaine
pour l’insertion socio-professionnelle à partir du Logiciel Libre.
Source :
https://ijsbergmagazine.com/technologie/article/6355-en-afrique-les-logiciels-libres-au-secours-du-developpement/